Gamay en Auvergne : chronique d’un rouge volcanique devenu roi

14/07/2025

Des cendres à la coupe : l’histoire d’un cépage voyageur

Avant de dominer la vigne d’Auvergne, le gamay a connu des détours dignes d’un roman d’aventure. Né dans le village éponyme du sud de la Bourgogne au Moyen Âge – entre Givry et Chalon-sur-Saône – il a vite pris le large vers d’autres horizons, souvent chassé par les édits et les préférences des élites du vin. Les ducs de Bourgogne l’ont boudé au XVe siècle au profit du pinot noir, le jugeant trop rustique. Ce « banissement » forcera le gamay à s’installer un peu plus au sud, jusqu’à prendre racine sur des terres alors bien moins illustres mais paradoxalement fabuleuses : l’Auvergne.

C’est autour du XVIIIe siècle que le gamay trouve son terreau auvergnat. Il y partage alors l’affiche avec de vieux cépages locaux (le grolleau, l’enfariné, le maylen, le pinot justement…). Mais la maladie du phylloxéra à la fin du XIXe siècle va, ironie du sort, donner un immense coup de pouce au gamay. Les parcelles replantées, après la catastrophe, privilégient ce cépage plus résistant et productif que les autres. Progressivement, les autres variétés rouges s’effacent. Le gamay, lui, s’accroche aux pentes volcaniques. Aujourd’hui, il représente près de 85% de l’encépagement rouge en Auvergne (source : Interprofession des vins du Centre Loire, étude 2022).

Le gamay et le volcan : une alchimie naturelle

Que se passe-t-il lorsque les racines d’un cépage à la peau fine rencontrent le basalte et la pouzzolane ? Le gamay d’Auvergne, c’est le fruit d’une union entre une variété naturellement expressive et un sol chargé d’histoire géologique. Sur les pentes du Puy-de-Dôme ou du Puy de Corent, les vignes plongent directement dans la cendre et la roche volcanique. Résultat : une singularité dans le verre qu’on ne retrouve pas ailleurs, même en Beaujolais, berceau du cépage.

  • Le sol volcanique offre un drainage impeccable et une minéralité rare ; l’eau file entre les blocs de scories, incitant la vigne à plonger loin pour s’hydrater.
  • Les fortes amplitudes thermiques du Massif Central ralentissent la maturation, apportant fraîcheur et vivacité aux vins, ce qui contrebalance la légendaire vivacité du gamay.
  • L’exposition sud/sud-ouest, fréquente au pays du Sancy, gâte les baies de soleil sans jamais les griller, grâce à l’altitude – fréquemment autour des 400 à 600 mètres.

À la dégustation, c’est explosif : des arômes de fruits rouges (framboise, groseille, fraise des bois) mais aussi, parfois, une note fumée, presque terreuse, qui confère un caractère franchement inimitable.

Pourquoi le gamay écrase-t-il la concurrence ?

Plusieurs raisons très concrètes font que ce cépage est devenu la star locale, alors que la palette ampélographique (le catalogage des cépages, en somme) était bien plus vaste autrefois. C’est ici que l’Auvergne joue sa partition unique.

Un cépage qui a du coffre… et du cœur

  • Résilience face au climat : Le gamay survit, fructifie et mûrit là où le pinot faiblit, surtout les années fraîches ou face aux vents du plateau. Il supporte admirablement bien les petits coups de froid printaniers… fréquents à 600 mètres d’altitude !
  • Rendements réguliers : Pour les vignerons, le gamay, bien maîtrisé, offre des rendements fiables. En Auvergne, on vise volontiers entre 40 et 55 hectolitres/hectare sur les plus belles parcelles (source : comité interprofessionnel des vins d’Auvergne, 2021).
  • Cépage caméléon : Selon les vinifications — macération carbonique ou fermentation classique — le gamay sait donner aussi bien des vins légers, floraux et friands que des crus sérieux, aptes au vieillissement. Son adaptation sur sols volcaniques lui donne en plus une tension minérale presque saline.

Un atout maître pour le renouveau du vignoble

  • Depuis sa renaissance dans les années 1990, le vignoble auvergnat mise sur l’AOC Côtes d’Auvergne (créée en 2011) où le gamay rouge domine tous les secteurs, de Madargue à Corent.
  • Ce choix confère une identité forte, aisément reconnaissable, qui fédère petits et grands producteurs.
  • Anecdote : le premier vin labellisé AOC “Côtes d’Auvergne” en 2011 était un gamay rouge du secteur de Boudes.

Portraits de vignerons : le gamay comme bannière

Pour comprendre pourquoi ce cépage règne, il faut descendre dans les caves et poser la question aux principaux artisans du renouveau. Quelques faits marquants :

  • Vincent et Marie Tricot (Champeix) ; à la tête de 7 ha, travaillent exclusivement le gamay, cherchant l’expression la plus pure du sol de pouzzolane ; leurs vins s’exportent jusqu’au Japon et aux Etats-Unis.
  • Patrick Bouju (Cézens), célèbre pour ses cuvées naturelles à base de 100% gamay, souvent issues de très vieilles vignes (certaines plantées après-guerre, d’autres en 1971).
  • Les caves de Saint-Verny, principale coopérative du Puy-de-Dôme : sur 220 ha, la moitié est plantée… en gamay ! Et plus de 60% part chaque année dans la grande distribution régionale (source : cave Saint-Verny, 2023).

Ce fil rouge, commun à toute la région, permet aussi aux vignerons de parler d’une seule voix lorsque l’AOP ou l’IGP centre leurs dosages sur le gamay – gage de clarté, d’identité forte et d’un message limpide pour le consommateur.

Chiffres clés et anecdotes à savourer

  • Superficie plantée : sur environ 800 hectares de vignes en Auvergne (source : Agreste, ministère de l’agriculture, 2023), plus de 650 hectares sont en gamay – son taux de dominance est le plus haut de France, devant même les crus du Beaujolais où pinot noir et autres variétés s’installent ponctuellement.
  • Durée de vie moyenne des ceps : en raison d’une maladie virale typique des sols volcaniques (le “court-noué”), certains ceps de gamay locaux affichent volontiers plus de 55 ans d’âge – record régional, notamment autour de Corent et Boudes !
  • Renaissance viticole : En 1985, il ne restait plus que 250 hectares de vignes en Auvergne, tous cépages confondus… et déjà 180 hectares de gamay (source : Les Cahiers d’Auvergne, numéro spécial vin, 2018).
  • Le goût du terroir : Il existe un vrai “goût d’Auvergne” dans le gamay local, salué par le Guide Hachette comme “plus terrien, plus pierreux et acidulé” que ses confrères du Beaujolais (édition 2022).

Les perspectives : un cépage d’avenir pour une région d’hier et de demain

Dans un monde qui cherche le juste équilibre entre identité, authenticité et adaptation climatique, l’Auvergne a remisé ses doutes. Le gamay, hier cépage de repli, est devenu le totem rouge d’une région autrefois oubliée. Il plaît aux sommeliers pour ses arômes frais et sa buvabilité moderne, séduit les jeunes vignerons qui veulent expérimenter (pétillants naturels, macérations longues, vinifications en amphore…), attire les consommateurs qui privilégient l’originalité par rapport aux standards nationaux.

Le gamay ne fait pas qu’occuper le terrain : il l’incarne. Des caves de Saint-Verny aux terrasses de Corent, il porte la voix du volcan, la main du vigneron et ce petit supplément d’âme qui raconte l’Auvergne autrement.

Pour les curieux, les néo-vignerons, les connaisseurs en quête de différences, ouvrir une bouteille de gamay d’Auvergne, c’est plonger dans un paysage bâti par le feu, l’exil et la patience. Pourquoi est-il le plus répandu ? Parce qu’il a su rendre ses lettres de noblesse à tout un territoire.

Sources : Interprofession des vins du Centre Loire, Agreste/Minsitère agriculture 2023, Guide Hachette 2022, Les Cahiers d’Auvergne 2018, Cave Saint-Verny, Observatoire Viticole Français.

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