Entre lave et lichen : les cépages qui font vibrer les vignes d’Auvergne

10/07/2025

Une mosaïque de cépages à l’ombre des volcans

Quand on pense Alsace, on pense Riesling. Bordeaux, cabernet et merlot. Mais l’Auvergne ? Ici, l’histoire du vin se mêle à celle du feu de la terre. Sur ces terres noires et rouges plantées de volcans assoupis, les vignes cultivent une identité en marge, portée par des cépages qui parlent le dialecte du basalte.

Parmi les grandes familles plantées au pied du Sancy, autour de Clermont-Ferrand ou sur les collines de Saint-Pourçain, on croise des classiques – gamay, pinot noir, chardonnay – qui prennent ici des accents insoupçonnés, mais aussi des variétés presque mythologiques, comme le tressallier ou les dizaines de cépages oubliés.

Pourquoi le gamay règne-t-il en maître sur les coteaux auvergnats ?

Le gamay, ce n’est pas seulement le Beaujolais nouveau qu’on sert à la mi-novembre. En Auvergne, c’est un autre visage du cépage qui s’exprime : plus rustique, plus nerveux, teinté par la minéralité du sol. Il faut savoir qu’il couvre aujourd’hui plus de 65 % de la surface plantée dans le Puy-de-Dôme, soit plus de 250 hectares selon l’INAO (Vins du Val de Loire).

Mais pourquoi un tel amour pour le gamay ici, alors que ce cépage a souvent été malmené ailleurs, arraché puis réhabilité ? Il y a d’abord la raison de la survie : après la crise du phylloxera à la fin du XIXe siècle, le gamay a été préféré pour sa capacité d’adaptation et ses rendements, là où le pinot noir souffrait. Mais il y a mieux : sur les sols volcaniques, il développe une fraîcheur singulière, des arômes de griotte, de poivre blanc, parfois une note fumée presque grillée qui rappelle le sol chaud où il s’enracine.

  • Montpeyroux : une typicité affirmée, avec un côté pierre à fusil unique.
  • Madargue : expression plus fruitée, subtilement épicée.
  • Corent : de superbes rosés volcaniques issus du gamay, vifs et sapides.

Loin d’être cantonné à la simplicité, le gamay d’Auvergne surprend et séduit les amateurs de vins francs, à la triple croisée du fruit, du sol et de l’histoire.

Le chardonnay des terres noires : quand le volcan forge l’élégance

Oubliez un instant les grands crus de Bourgogne. Le chardonnay d’Auvergne joue sa propre partition. On le retrouve majoritairement dans les Côtes d’Auvergne et le vignoble de Saint-Pourçain, où il s’associe parfois à l’aligoté ou au fameux tressallier.

La différence majeure ? C’est le mariage de l’altitude (souvent entre 350 et 600 mètres), d’un climat marqué par des variations thermiques fortes, et surtout du sol, parsemé de cendres et de pouzzolane. Résultat : les chardonnays auvergnats s’émancipent de la rondeur grasse que l’on peut connaître ailleurs. Ils offrent :

  • une tension saline, presque iodée
  • des notes d’agrumes mûrs, de fleurs blanches mais aussi de pierre humide
  • une acidité naturelle qui fait merveille à table

Les dégustateurs évoquent souvent des arômes subtils de noix de muscade ou d’infusion, un côté discret mais d'une persistance rare. Ils vieillissent étonnamment bien : certains domaines gardent des bouteilles 6 à 10 ans pour révéler une complexité sur le miel et le silex (source : Terre de vins).

Pinot noir d’Auvergne : la mémoire vive du vignoble

S’il a moins de surface aujourd’hui qu’avant phylloxera, le pinot noir fait partie de l’ADN viticole de l’Auvergne. Implanté dès le Moyen-Âge grâce au commerce avec la Bourgogne voisine et à l’influence des abbayes, il fut longtemps le grand cépage des rouges locaux, emblème des banquets clermontois et des tables de la bourgeoisie régionale.

Les archives montrent que le pinot noir d’Auvergne alimentait, sous le nom de « vins de Limagne », les marchés parisiens et ligériens jusqu’au XVIIIe siècle (source : La Vigne). Oublié puis ressuscité à la fin du XXe siècle, il dévoile aujourd’hui des vins légers, purs, tout en finesse, entre framboise fraîche et poivre gris.

C’est le cépage des vins de garde des grands millésimes ; il sait aussi offrir des rouges immédiats, parfaits sur une charcuterie d’Auvergne ou les fromages locaux. Il se retrouve en mono-cépage ou en assemblage avec le gamay, pour donner aux vins des Côtes d’Auvergne toute leur profondeur.

Tressallier : le blanc rare, signature du Centre de la France

Vous n’avez jamais entendu parler du tressallier ? C’est normal : ce cépage n’est cultivé quasiment qu’ici, dans l’AOC Saint-Pourçain (Vins de Saint-Pourçain). Véritable trésor local, il est utilisé à hauteur de 25 à 35 % dans les blancs.

Quels sont ses secrets ? Le tressallier, longtemps confondu avec le sauvignon ou le sacy, n’a pourtant d’équivalent nulle part. Il donne des vins d’une fraîcheur unique, droits, toniques, avec un accent de poire, de pomme verte, et cette note herbacée presque mentholée rappelant le lichen ou la feuille de noisetier.

  • Un cépage mentionné dès le XVIe siècle dans les parchemins locaux.
  • Seulement 45 hectares recensés à Saint-Pourçain en 2023.
  • Grand potentiel gastronomique grâce à son acidité vive et sa minéralité exacerbée par les galets roulés et les sables volcaniques.

Aujourd’hui, quelques vignerons passionnés s’efforcent de garder le tressallier encore vivant malgré son faible rendement et sa fragilité face aux maladies. Il n’en est que plus précieux.

Renaissance des cépages oubliés : quand le passé inspire l’avenir

L’Auvergne protège en son sein d’autres cépages autochtones, presque disparus, que seules quelques mains expertes refusent d’abandonner aux archives. On croisera parfois dans les rangs de vieilles parcelles du pinot gris, du gamay de Bouze, du gamay Fréaux, du melon, du gouais ou encore du portugal.

Depuis une quinzaine d’années, un mouvement de sauvegarde s’anime dans les coteaux : expérimentation, microvinifications, remise au goût du jour de variétés préphylloxériques. Certains domaines – le domaine Miolanne, le domaine Sauvat pour n’en citer que deux – proposent désormais des cuvées confidentielles qui renouent avec la pureté du fruit et restituent un patrimoine gustatif riche, coloré, souvent plus robuste et acide.

  • Pinot gris : donne des blancs « gris », aromatiques et tendus.
  • Gamay Fréaux : plus robuste, profond, proche du Gamay de Bouze du Beaujolais.
  • Melon : parent du melon de Bourgogne, utilisé pour des blancs vifs et perlants.

Redécouvrir ces vieux cépages, c’est aussi renouer avec des pratiques culturales oubliées et replacer l’Auvergne dans la grande histoire du vignoble français.

Des arômes sculptés par la cendre et le vent

Difficile de parler d’un cépage sans évoquer ce que lui offre son lit. Le terroir volcanique auvergnat imprime sa marque, si singulière, que ce soit dans les rouges ou les blancs. On dénombre ici des sols composés de pouzzolane, de basaltes, d’argiles rouges, de sables granitiques et même de gisements de cendre. Cette diversité explique la palette aromatique unique des vins d’Auvergne.

  • Notes fumées et minérales : arômes de pierre à fusil, silex, cendre froide, typiques de certains vins de Corent, Montpeyroux ou Boudes.
  • Fraîcheur végétale : accents de lichen, de mousse ou d’herbes sèches, réminiscence des sous-bois volcaniques.
  • Fruit éclatant : cerise vive, groseille, rhubarbe pour les rouges ; pomme verte, citron confit, poire pour les blancs.

Ce sont des vins qui n’ont pas peur de l’énergie, parfois presque tranchante, préservant toujours une authentique sensation de « propreté » minérale en bouche, loin du bois ou du confit.

Un climat de contrastes : atout ou défi pour la vigne ?

Ici, la vigne est une sorte d’alpiniste modeste, accrochée entre 350 et 600 mètres sur des pentes exposées à tous les vents. L’Auvergne connaît :

  • des hivers longs et froids, avec des épisodes de gel printanier parfois dévastateurs (périodes critiques pour la sortie des bourgeons, comme en 2016 ou 2021).
  • des étés chauds mais courts, marqués par de brusques écarts de température jour/nuit (jusqu’à 20°C d’amplitude en juillet-août).
  • une pluviométrie très variable selon l’exposition, parfois moins de 600 mm/m² par an sur les zones les plus sèches de Limagne, mais plus de 900 mm dans les secteurs du Sancy (Météo France).

Ce climat forge des raisins à la peau épaisse, riches en acidité naturelle. Grâce à la fraîcheur nocturne, la maturation est lente : les arômes ont le temps de se concentrer, la fraîcheur est préservée et le taux d’alcool reste modéré, rarement au-dessus de 13,5°. La vigne doit lutter, ce qui donne aux vins leur expression tendue, souvent très digeste.

Certains millésimes marqués par la sécheresse (2015, 2018) ont révélé des vins auvergnats plus solaires, sans jamais tomber dans la lourdeur. À l’inverse, les années plus fraîches offrent des jus droits, cristallins, zestés, à la complexité aromatique remarquable.

Passage de témoin : la nouvelle génération de vignerons à l’assaut des volcans

L’Auvergne vit un vrai renouveau. Des dizaines de jeunes vignerons – souvent venus d’ailleurs – s’installent, replantent, explorent. Ils peaufinent les vinifications de cépages historiques, défrichent les vieux clones, inventent des cuvées « parcellaires » qui révèlent la singularité du volcan dans chaque verre.

Ce sont eux qui redonnent au vignoble d’Auvergne son souffle, remettant au centre l’expression du terroir : vins naturels ou très peu interventionnistes, recherche de la pureté aromatique, élevages sobres pensés pour laisser parler le sol. Résultat : les concours nationaux et internationaux s’y intéressent de plus en plus (médaille d’or pour le Côtes d’Auvergne Boudes au Concours Général Agricole 2023, récompenses pour les blancs de Saint-Pourçain au Chardonnay du Monde…).

Dans un monde du vin qui réclame authenticité et fraîcheur, les cépages d’Auvergne, sculptés par les cendres des anciens volcans, tracent une voie originale pour qui veut boire la terre et le temps conjugués.

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